Chères autoroutes

Un rapport de la Cour des comptes pointe les dérives d’un système qui a abouti à donner une rente monopolistique sans contrôle aux sociétés concessionnaires.

Comment bien de fois allons-nous encore payer nos autoroutes ? C’est ce que semble se demander la Cour des comptes dans son dernier rapport sur la gestion des autoroutes françaises, désormais privatisées à 95%. L’étude, réalisée à la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale, est un vrai réquisitoire. Hausses sans fondement des tarifs, opacité de gestion, contrats avec des clauses indues, absence d’obligation… le constat est accablant. En résumé, les sociétés concessionnaires d’autoroutes, – Vinci, APPR (filiale d’Eiffage) et Sanef ( filiale du groupe espagnol Albertis) disposent d’une rente monopoliste sans contrôle, le tout avec la bénédiction de l’Etat.

Est-ce vraiment une surprise ? Lors de l’ouverture du capital des sociétés d’autoroutes en 2001  décidée par Laurent Fabius, alors ministre des finances puis de la privatisation totale décidée par le gouvernement de Dominique de Villepin en 2006, des experts avaient souligné cette cession au privé relevait du bradage des actifs de l’Etat. Non seulement les sociétés privées allaient racheter un réseau complet d’autoroutes en parfait état, déjà largement payé et amorti grâce aux péages,  pour une bouchée de pain mais l’Etat allait  perdre des rentrées significatives d’argent, de l’ordre d’un milliard d’euros par an, sans en tirer aucun bénéfice.  A l’exception de François Bayrou qui s’était élevé contre ces privatisations, droite et gauche avaient balayé les arguments, jugeant que le privé était bien mieux à même de gérer les autoroutes que l’Etat.

Sept ans plus tard, rien ne va plus dans la gestion autoroutière. Les sociétés concessionnaires ont normalement l’obligation de faire avaliser leur augmentation de tarifs par l’Etat. Mais par une savante refonte des grilles, qui a conduit à un saucissonnage des péages, à faire payer plus cher  les voitures que les camions, les portions plus fréquentées que les autres, les parcours longs que  les courts , voire en fonction des horaires, l’opacité règne en maître et permet aux sociétés concessionnaires de jongler avec leurs tarifs comme elles l’entendent.

Résultat ? Selon la Cour des comptes, les hausses tarifaires ont augmenté bien plus que l’inflation. Entre 2008 et 2001, les recettes des péages ont augmenté de plus de 10% . En 2011, le chiffre d’affaires des péages perçus par les trois sociétés autoroutières s’élevait à 7,6 milliards d’euros. En  deux ans, les recettes représentent le prix des privatisations perçu par l’Etat ( 13 milliards d’euros) . C’est dire l’ampleur du cadeau consenti par l’Etat.

Pour justifier la hausse des tarifs, les sociétés autoroutières ont normalement des obligations de travaux, de modernisation, prévus dans des contrats de plan. La Cour des comptes relève que les grands projets autoroutiers ont quasiment disparu : l’essentiel des infrastructures autoroutières a été réalisé avant la privatisation. Les rares autoroutes qui ont vu le jour comme le tronçon Pau-Bordeaux, nommé l’autoroute la plus chère de France, ont du mal à trouver leur rentabilité. Le subterfuge désormais est de transformer les routes nationales en autoroute aménagée comme l’axe Dax- Bordeaux.

Pour le reste, les travaux des sociétés concessionnaires relèvent plutôt de l’entretien et de l’aménagement. Mais ce sont elles qui décident de ce qu’elles entendent faire. Et ce sont leurs filiales de travaux qui réalisent les aménagements. Elles peuvent donc faire leur prix comme elles veulent dans la plus grande opacité.  La Cour des comptes n’a pu obtenir des comptes rendus précis des travaux entrepris par les  concessionnaires. « Le modèle économique des contrats de plan, qui ne sont pas publics, est construit de telle sorte que tout investissement est compensé par une hausse de tarifs. Ainsi, les bénéfices des sociétés concessionnaires n’ont pas à être réinvestis dans des investissements nouveaux ou dans des diminutions de tarifs. Ce modèle ne peut donc qu’aboutir à une hausse constante et continue des tarifs  » explique le rapport.

La Cour des comptes  estime qu’il est urgent de remettre à plat le système en reprenant les contrats de plan , en redonnant à l’Etat une capacité d’expertise et en sanctionnant – ce qui n’a jamais été fait jusqu’alors- toutes les irrégularités et les non-respects de la loi. Le ministère des transports a promis d’intervenir dans le dossier.  Il est plus que temps. Sinon, nous n’avons pas fini de payer des autoroutes que nous avons déjà financées au moins trois fois. Les concessions autoroutières sont prévues jusqu’en 2029, voire 2032. Et les concessionnaires n’ont même pas l’obligation de les rendre en bon état.

 

Source : Mediapart – 24 juillet 2013 – Martine Orange